Amazigh Kateb. « J’aborde pour la première fois l’écriture de mon père »

Publié le par cabaret voltaire

Entretien. Fils du grand écrivain algérien Kateb Yacine, le chanteur Amazigh Kateb se lance dans une carrière solo. Pour la sortie de son prochain album, il a choisi la date symbolique du 17 octobre.

« C’est Africain qu’il faut se dire ». Depuis quinze ans, Amazigh Kateb, fils du grand poète et dramaturge algérien Kateb Yacine, met en pratique et en musique la devise de son père. Après l’aventure de Gnawa Diffusion, le chanteur se lance en solo. Avec le même esprit révolutionnaire et toujours, au coeur, l’héritage culturel et musical des esclaves noirs que la traite transsaharienne déporta en Afrique du Nord. Rencontre.


Pourquoi entamer cette aventure en solo, après Gnawa Diffusion ?

Amazigh Kateb. J’ai créé Gnawa Diffusion à l’âge de vingt ans. J’en ai aujourd’hui trente-six. Je ne renie pas cette expérience. Je pense la même chose, mais différemment, avec d’autres envies, plus personnelles. Dans mon prochain album, j’aborde pour la première fois l’écriture de mon père. Je mets en musique certains de ses textes, chose qui m’était jusqu’alors impossible. J’étais trop endeuillé pour cela. Un groupe implique des concessions sur les textes, sur leur esthétique. Des concessions que je ne peux pas consentir s’agissant des textes de mon père. Ce rapport à la paternité, à la mort, je me voyais mal les appréhender au sein d’une entité collective. Le disque que je prépare est très lié à mon histoire, à l’Algérie, à la notion d’exil.


Quels textes de Kateb Yacine figureront dans cet opus ?

Amazigh Kateb. Je reprends « Bonjour », un texte de jeunesse extrait de l’OEuvre en fragments et « Africain », issu du même recueil. Ce sont des textes courts, poétiques, écrits alors qu’il n’avait pas encore vingt ans. Cette année 2009 est celle des vingt ans de la mort de mon père. Cela secoue chez moi énormément de choses. J’ai choisi de sortir l’album le 17 octobre. Ce jour-là, en 1961, la police de Papon a jeté des Algériens à la Seine, croyant tuer, ainsi, la révolte algérienne, la révolte tout court. Symboliquement, cette date me semblait appropriée. Ces gens ont jeté nos ancêtres dans la Seine. Ce jour-là, on ne jettera personne dans la Seine, on se jettera sur scène.


Que vous inspire l’idée de colonisation « positive » en vogue dans la France sarkozyenne ?

Amazigh Kateb. Une telle rhétorique ne m’étonne qu’à moitié. La France a opéré ces dernières années un tournant radicalement à droite. Depuis vingt ans que je vis ici, j’ai vu ce basculement. Il se traduit, entre autres, sur le terrain de la mémoire coloniale. Cette histoire rejaillit, alors même que la France ne l’a pas vraiment digérée. La guerre d’Algérie a laissé de profondes séquelles de part et d’autre de la Méditerranée. On peut reconnaître cela sans bénir les colons. En France, la droite parle des « effets positifs » de la colonisation, comme à l’époque de la pacification. En Algérie, cette histoire est instrumentalisée pour légitimer le FLN et le statu quo postcolonial.


Voyez-vous une issue à la crise algérienne et au désenchantement de la jeunesse qu’elle nourrit ?

Amazigh Kateb. L’Algérie ne vit pas sous un régime démocratique réel. Les choix des électeurs n’y sont pas respectés. Les orientations politiques y sont complètement schizophréniques. Le peuple est désarmé. Mais si aujourd’hui les Algériens parviennent encore à sourire, à être heureux, amoureux, c’est parce qu’ils sont en avance sur le système qui les maintient prisonniers. À l’archaïsme du système, ils répondent par la modernité de la débrouillardise. C’est le système D, grâce auquel les gens ouvrent çà et là quelques brèches de liberté. Dans ce pays, comme ailleurs dans le monde, il va falloir abattre les murs et les citadelles.


Vous sentez-vous proche des idées communistes dont se réclamait votre père ?

Amazigh Kateb. Ces idées-là m’ont forgé. Il me serait impossible de faire table rase de ces engagements. Nous ne sommes plus à la même époque, le monde a changé, je n’ai dans la poche aucune carte d’un parti communiste, mais il est clair que je me sens rouge. Je ne crois pas du tout aux discours sur une soi-disant « troisième voie » qui permettrait d’aménager le capitalisme. Tant que perdurera la domination du capitalisme, je me positionnerai vraiment à gauche. L’idée communiste ne relève pas seulement de la théorie. Elle est pétrie de la condition des ouvriers, de leurs luttes pour conquérir des droits dont nous jouissons encore aujourd’hui. Je ne peux pas renier cela. Nous sommes passés du statut d’esclave à celui de sujet, puis à celui de citoyen. Désormais, nous ne sommes plus des citoyens, mais des consommateurs, des estomacs sur pattes. Même les gens de gauche ont abandonné le terrain de la contestation idéologique. Ils sentent que ce système leur fait mal, ils le désapprouvent. Mais sans socle idéologique, toute révolte est vouée à l’échec. Les capitalistes, en face, n’attendent que cela : des réactions épidermiques, non réfléchies. Moi je rêve plutôt d’une révolution.


L’album, comme ceux de Gnawa Diffusion, est-il inspiré des musiques du Sud algérien ?

Amazigh Kateb. L’inspiration, les choix de composition restent constants, même si l’instrumentation change. J’ai choisi, aussi, de privilégier davantage les textes, le chant. L’une des chansons, intitulée Mosiba (catastrophe), évoque l’Algérie d’aujourd’hui. J’en ai composé une autre, encore, à partir de l’argot amoureux plutôt cru forgé, ces dernières années, par les adolescents algériens. Cet album sera sans doute moins rock’n’roll, mais il intègre des influences urbaines. Certains morceaux restent très acoustiques, typiquement chaabi. D’autres, enfin, s’inscrivent dans la tradition gnawa, avec les choeurs, les karkabou, le guembri. Cette musique gnawa fait désormais partie de mon identité. C’est elle qui relie mon déracinement et mes origines. Elle m’a permis de trouver un langage dans l’exil. Cette musique gnawa exprime aussi la liberté : comme le gospel, c’est une musique d’esclaves. Je me retrouve dans cette identité africaine, beaucoup plus vaste et accueillante aux autres qu’une identité étroitement algéro-algérienne sclérosée par la colonisation, l’arabisation, la « bouteflikisation ».


Il y a vingt ans, Kateb disparaissait. Son oeuvre est-elle aujourd’hui reconnue, en France et en Algérie, à sa juste valeur ?

Amazigh Kateb. Son oeuvre fait l’objet de travaux, certaines de ses pièces de théâtres, comme Mohammed, prends ta valise, ont été montées. De nombreuses initiatives sont prévues pour commémorer les vingt ans de sa disparition.

De Kateb Yacine, on connaît d’abord son roman Nedjma. Mais l’essentiel de son oeuvre est poétique et théâtrale. Ces formes d’écriture ne s’accommodent d’aucun carcan. La poésie est faite pour être déclamée, mise en musique. Le théâtre, lui aussi, est un art vivant. Sans doute cette oeuvre n’a-t-elle pas encore été assez extirpée des livres.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

 

Retrouvez toutes les dates de concert d’Amazigh Kateb sur son site : http://blog.amazighkateb.com

Publié dans Culture

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